Posté par eqconews, le 1 février 2022
Par le Pr Christian Gambotti *
Depuis les années 1950 et au lendemain des indépendances, l’Afrique a vécu au rythme des coups d’État militaires. Selon les chiffres, l’Afrique a connu, depuis 1950, plus de 100 coups d’État. De 1960 à 1990, on comptabilisait une quarantaine de coups d’État par décennie. Au XXIème siècle, on comptabilise encore une quarantaine de passations forcées du pouvoir, les forces militaires jouant un rôle actif. Si, en 1962, la tentative de coup d’État contre le Président de la République du Sénégal Léopold Sédar Senghor échoue, c’est parce que l’armée refuse de soutenir les putschistes. Les auteurs des coups d’État, qui se présentent comme des libérateurs, justifient la passation forcée du pouvoir par les faibles performances économiques des gouvernements en place.
Le coup d’État militaire au Mali et les questions qu’il pose.
Dans le cas du coup d’État militaire au Mali, s’ajoute un autre paramètre, la volonté de rupture avec l’Occident du Président Assimi Goïta qui, en se rapprochant de la Russie, renoue avec l’idéologie des mouvements de libération panafricains, qui ont, avant les indépendances, incarné la lutte d’émancipation anticoloniale. Si l’importance de l’action anticoloniale classique s’est peu à peu réduite en Afrique, elle renaît aujourd’hui, l’Occident, et la France en particulier étant accusés de pratiques néocoloniales qui assurent le maintien au pouvoir de dirigeants que la rue finit par contester. Au Mali, les dirigeants qui se sont succédé, - ATT, un ancien militaire, et IBK, un socialiste membre de l’Internationale socialiste -, ont montré leur incapacité à gouverner et protéger les populations contre le terrorisme.
La passation forcée du pouvoir au Mali pose de nombreuses questions qui concernent à la fois le Mali, la France, l’Union européenne, le G5 Sahel et le nouvel ordre mondial symbolisé par le retour, en Afrique, de la Russie. Toutes les questions se posent en même temps, ce n’est pas simplement une question franco-malienne. La France, l’Union européenne et la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’inquiètent de l’évolution de la situation au Sahel.
Depuis le premier putsch en mai 2020 et le second en août 2021, les relations entre Bamako et Paris se sont dégradées. Dernier exemple en date : l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali. La stratégie qui consiste à faire le pari du renforcement des armées locales et du retour de l’État dans les zones frontalières semble avoir échoué. Face à une junte malienne qui multiplie désormais les obstacles au rôle que prétendent jouer la France et l’Union européenne dans la lutte contre le terrorisme, ce qui entraîne la rupture de l’actuel cadre politique et militaire, Paris et Bruxelles sont conduits à reconfigurer le dispositif sécuritaire. Les décisions sont difficiles à prendre, le Mali restant l’un des acteurs-clefs de la lutte contre le terrorisme.
La junte militaire entend faire respecter la pleine souveraineté du Mali, ce qui se traduit par une perte d’influence de la France et de l’Occident dans la région au profit de la Russie qui avance ses pions à travers Wagner, une milice militaire privée que dirige l'homme d'affaires Evguéni Prigojine, un proche de Poutine.
Le coup d’État au Burkina Faso et les questions qu’il pose.
Théâtre d'un coup d'État militaire le lundi 24 janvier 2022, le Burkina Faso a été suspendu le vendredi 28 janvier de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), à l'issue d'un sommet virtuel de l'organisation. La CEDEAO a exigé la libération immédiate du président renversé Roch Marc Christian Kaboré, ainsi que celle des autres dirigeants arrêtés. Les chefs d'Etat se retrouveront demain jeudi 3 février à Accra pour évaluer à nouveau la situation du Burkina ; mais aussi au Mali et en Guinée. Les déclarations des putschistes au Burkina et de la CEDEAO vont dans le sens d’un apaisement.
Le nouvel homme fort du Burkina, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, ne souhaite pas rompre avec la CEDEAO. Il affirme que le Burkina, qui a « plus que jamais besoin de ses partenaires, continuera à respecter les engagements internationaux » et les « droits de l'Homme ». Il annonce « au retour à une vie constitutionnelle normale », « lorsque les conditions seront réunies ». Quant à la CEDEAO, elle déclare qu’elle était « toujours disposée à accompagner » les militaires pour un retour rapide à l'ordre constitutionnel. Si aucun calendrier n’a encore été fixé, il semble que les putschistes burkinabè et la CEDEAO s’inscrivent dans une logique de dialogue. La personnalité du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, un spécialiste de la lutte anti-djihadiste, semble offrir de meilleures garanties de dialogue avec la CEDEAO et les alliés traditionnels du Burkina. Au plan intérieur, les militaires ont annoncé qu’ils voulaient associer toutes les forces vives de la nation, afin de redresser le pays.
Pour la CEDEAO, face aux coups d’Etat, « c’est la tolérance zéro », l’organisation sous-régionale considérant que « chaque fois que vous avez un coup d'État, c'est un recul démocratique pour le pays et la région ». La CEDEAO, qui affirme que « la période des coups d'État des années 1970, c'est révolu », défend le principe selon lequel « l'armée se doit d'être républicaine et apolitique ». En 2005, à la suite du coup d’Etat en Mauritanie, les militaires n’ont pas mis en place un gouvernement de leur choix, ils sont revenus à l’ordre constitutionnel et ils n’ont pas participé aux élections. Les juntes militaires au Mali et au Burkina sont-elles soutenues par la rue ? Les déclarations de l'homme d'affaires Evguéni Prigojine, responsable du groupe paramilitaire Wagner, n’ont pas rencontré au Burkina le même écho qu’au Mali. Pour Prigojine, le coup d’État militaire au Burkina est le signe d'une « nouvelle ère de décolonisation » en Afrique. La complexité de la situation au Sahel ne doit pas faire oublier que les menaces djihadistes se propagent vers le sud, au Burkina Faso et au Niger, dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Ghana.
(*) Politologue, essayiste
Président du think tank Afrique & Partage
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02/02/2022 à 17:43
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